Claude Fischler est actuellement directeur de recherches au CNRS. A partir de 1974, il se consacre à des travaux sur l'alimentation envisagée d'un point de vue interdisciplinaire : les mœurs alimentaires et leur évolution ; le goût, sa formation et son évolution ; les images sociales du corps, de l'embonpoint et de la minceur. Il présente une synthèse de ces divers travaux dans L'Homnivore (Odile Jacob). Il a poursuit des recherches sur la pensée magique, en matière d'alimentation et dans ses manifestations contemporaines, et des études comparatives sur les attitudes vis-à-vis de l’alimentation, de la santé, du plaisir et du corps dans diverses cultures. Dernièrement, il s’est plus particulièrement intéressé à la perception du risque en matière d'alimentation (notamment recherches sur la perception du risque alimentaire, la crise de la "vache folle" et la perception des OGM). Il est aussi l'auteur des ouvrages : "Du vin" (Ed Odile Jacob - 1999) et "Manger. Français, Européens et Américains face à l'alimentation" avec Estelle Masson (Ed. Odile Jacob, 2008).
D'où viennent nos passions, mais aussi nos hantises, face à ce que nous mangeons ? D'où viennent nos goûts et nos dégoûts ? Claude Fischler suit à la trace les transformations de la diététique et de la cuisine, grande et petite, ainsi que la montée des régimes et de la minceur. Il montre comment la civilisation moderne, l'évolution des modes de vie et l'industrialisation ont transformé notre rapport à l'alimentation et, du même coup, à nous-mêmes. Un ouvrage désormais classique.
Extrait :
Mangeur éternel et mangeur moderne
Manger : rien de plus vital, rien d'aussi intime. "Intime" est bien l'adjectif qui s'impose : en latin, intimus est le superlatif de interior. En incorporant les aliments, nous les faisons donc accéder au comble de l'intériorité. C'est bien ce qu'entend la sagesse des nations lorsqu'elle dit que "nous sommes ce que nous mangeons" ; à tout le moins, ce que nous mangeons devient nous-mêmes. Le vêtement, les cosmétiques ne sont qu'au contact de notre corps ; les aliments, eux, doivent franchir le barrière orale, s'introduire en nous et devenir notre substance intime. Il y a donc par essence quelque gravité attachée à l'acte d'incorporation ; l'alimentation est le domaine de l'appétit et du désir gratifiés, du plaisir, mais aussi de la méfiance, de l'incertitude, de l'anxiété.
Dans le cours de l'histoire humaine, c'est surtout l'aspect vital qui a retenu l'attention. Depuis les origines, la nourriture a sans doute été la préoccupation la plus envahissante de l'existence humaine : exister, c'était réussir à subsister. La subsistance était la substance même de la vie. Dans la quasi-totalité des sociétés traditionnelles , la vie était, est encore, scandée par des périodes d'incertitude, de pénurie : chez les chasseurs-cueilleurs c'est le gibier qui vient à manquer ; chez les agriculteurs, c'est la "soudure" saisonnière qui se fait mal. Il s'agissait par tous les moyens de réduire autant que possible cette marge d'incertitude.
Pour un Occidental du XXe siècle, l'alimentation ne devrait plus guère poser de questions. A vivre dans les sociétés les plus développées, nous ne courons plus guère le risque de "manquer". La dernière disette, en France, a eu lieu en 1741-1742. La grande famine irlandaise de la pomme de terre date de 1846-1848. Depuis, seule la guerre a ramené la pénurie et, provisoirement ou localement, la famine.
"Joindre les deux bouts", depuis belle lurette, n'est plus un problème de nourriture mais d'argent. Aujourd'hui les incertitudes saisonnières sont oubliées. La distribution moderne a même gommé les derniers restes de saisonnalité : il nous parait presque scandaleux d'être privés de fraises en hiver ou de raisin au printemps. Dans nos contrées, ce sont les plus âgés, marqués par les souvenirs de guerre mondiale, qui se refusent à jeter du pain, qui stockent le sucre ou l'huile en cas de tension politique internationale ; ce sont les plus mobilisés qui frémissent à la pensée de "gaspiller" la nourriture. Nous savons bien que la faim sévit, mais loin dans le Tiers-Monde...
Le livre de Claude Fischler nous aide à comprendre les relations complexes de l'homme à la nourriture. A lire absolument !
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