L'un des grands chefs cuisiniers de la première moitié du XXème siècle, il fut d'abord cuisinier du Tsar, puis de l'empereur d'Autriche, avant de devenir propriétaire du célèbre restaurant Larue rue Royale à Paris. Il est aussi l'auteur des " Eloges de la cuisine française" et "l'Heptaméron des gourmets"
Eloges de la cuisine française
Que porte donc en lui ce mot de Rissole ? Tout le troublant mystère de la cuisine ! Je n'entends pas ici par le mot de rissole, et suivant la définition des dictionnaires, la pâtisserie qui renferme une farce de viande, de poisson ou de légumes, la mignonne friandise blonde qui revêt la forme d'une croustillante pomme de terre soufflée. La rissole est autrement complexe : il s'agit du trésor qui vient embaumer les mets d'une odeur et d'une saveur ineffables; c'est le bruit délicieux qui s'évade des casseroles, de la rôtissoire, de la poêle où se havissent des chairs délicates. C'est la torréfaction des graisses, qui forme, avec les sucs de la chair, ce fameux gratin aux nuances dégradées de l'ambre blond à l'or le plus éclatant ! Sous la bienfaisante action de la chaleur, la chair laisse couler au fond du vase ses sucs et ses parfums dont résultera la Rissole. Pour atteindre le succès, il est indispensable de prodiguer à sa préparation des soins assidu s, de lui témoigner les plus scrupuleuses attentions. Lorsque le récipient est couvert et que la chair se havit, tout un travail mystérieux se développe à l'intérieur, une suave buée monte, vient se condenser sur le couvercle, retombe en impondérable rosée sur la chair, s'abreuve, s'imprègne de ses sucs, de ses parfums, et glisse au fond du vase où le cycle de sa composition se trouve enfin suspendu. C'est l'instant où l'ouïe, l'odorat doivent être en éveil. L'averti praticien saura le moment précis qui requiert son intervention : alors, selon les circonstances et l'opportunité, il jettera dans la rissole quelques gouttes d'un vin fameux, ou du blond de veau, ou plus simplement quelques cuillerées d'eau froide. Si la chair doit être étuvée, entretenez-la dans un bain au quart de sa hauteur; si elle doit être braisée, mouillez-la entièrement. Quelle que soit la méthode de cuisson, si la rissole est bien réussie, la chair recevra sa richesse et gagnera sa succulence. La rissole, baume précieux qui nourrit et idéalise la chair, agit ainsi que les diamants de la rosée matinale dont les pleurs régénèrent les fleurs assoupies... Quoi de plus délectable qu'une belle volaille cuite en sa rissole, lorsque sur tout son corps rayonnant de blondeur, se seront épandues les larmes embaumantes d'un vin d'île méditerranéen ? La rissole va se transmuer en un philtre merveilleux qui dispersera sur le corps de l'oiseau un flot de séraphiques baisers divinisant sa chair opaline !...
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