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Wenfu (Lu)

Wenfu (Lu)
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Lu Wenfu

Né en 1928 à Taixing, province du Suzhou, a écrit durant ses 50 ans de carrière littéraire, une série d'oeuvres brillantes et populaires, telles que "Le Dévouement", une "Vieille famille de marchands ambulants", "les Murs d'enceinte", "Vie et passion d'un gastronome chinois", le "Désintéressement" et les "Gastronomes". Ce dernier livre, qui fait venir l'eau à la bouche, bénéficie de la faveur des lecteurs. On a surnommé Lu Wenfu "écrivain gastronome". Il est mort en 2005.

Vie et passion d'un gastronome chinois

Invité à partager le petit déjeuner de Zhu Ziye, laissez vous réchauffer par un bol de nouilles al dente, avec des crevettes sauvages en accompagnement. Que diriez vous d'un plat de rouleaux de poissons aux oeufs de crevettes, à moins que vous en préfériez une assiette d'oie braisée au marc de vin. Et si vous goûtiez plutôt ces tendres coeurs de légumes aux miettes de crabe ou ce jarret de porc confit au sucre glacé et ambré ?

Ce sont quarante années de vie chinoise autour de la table qui sont évoquées ici, témoignant de la survie des traditions culinaires envers et contre toutes les turbulences des dernières décennies en Chine. En pénétrant dans l'existence de deux personnages ennemis que les circonstances ont réunis par mégarde, vous ne cesserez d'être tenus en haleine par la véritable héroïne du roman: la gastronomie. Pour elle le "capitaliste" Zhu Ziye sacrifie tout. Contre elle s'acharne Gao, moraliste épris de justice révolutionnaire. Ce livre a connu un grand retentissement en Chine et a donné lieu à une adaptation cinématographique.

Vie et passion d'un gastronome chinois (extrait)

Zhu Ziye se retrouvait le dos au mur !

Notre expérience ne fut pas facile à propager. Bien souvent, les autres lieux de la gastronomie traînèrent
la patte, se contentant d'exposer les plats populaires dans leurs vitrines. Les spécialités de Suzhou y perdirent leur goût, malgré tout ; ce n'est pas qu'on changea le nom des plats ni même leur prix, mais leur réalisation fut moins soignée. Quelle bouche avait donc Zhu Ziye pour pouvoir distinguer aussi parfaitement les saveurs ?
A la première bouchée, il hochait la tête, fronçait les sourcils et faisait des critiques. Mais le malheureux se trompait d'époque, car il n'était plus traité comme un directeur et le mot capitaliste avait mauvaise presse. Je m'en prenais à lui. Avec ton argent que peux-tu faire ? Les pourboires sont interdits ! Si ça te plaît, tu manges ! Tu sors, si ça te dégoûte! Nous ne voulons pas être accusés de servir les bourgeois !
Comment Zhu Ziye pouvait-il survivre ? Chaque repas le déprimait, le tourmentait, lui donnait des maux d'estomac . Jour après jour, il avait l'impression de n'avoir pas assez mangé, de n'avoir pas assez bu; la simple vue des plats et des alcools, pourtant, lui donnait des nausées. Il n'avait pas le moral, ne prenait aucun plaisir aux choses ; il passait son temps à errer dans les rues. Il s'achetait parfois des gâteaux qu'il fourrait dans son sac en paille; mais les trouvant moins bons qu'avant il les faisait moisir dans sa chambre. Ma mère finissait par les jeter à la poubelle. Et le petit ventre qui le posait autrefois se dégonfla au fil des jours.

"Les nouilles de première cuisson" (extrait)

Zhu Ziye était un homme du matin. La grasse matinée n'avait aucun charme à ses yeux, car son estomac, tel un réveil, l'appelait à l'heure fixe: il fallait sans tarder filer chez Zhu Hongxing prendre les nouilles de "première cuisson"!
Ceci demande des explications, sinon on peut craindre que seuls les habitants de Suzhou, et encore ceux d'un certain âge, en saisissent le sel.

"Chez Zhu Hongxing" était alors un restaurant de nouilles très célèbre. Le restaurant existe toujours ; il est situé en face du jardin de la Tranquillité. Je ne vais pas m'étendre sur la variété, la saveur des nouilles servies chez Zhu Hongxing ; il suffit de consulter le menu, qui du reste ne comporte rien d'exceptionnel. Je voudrais plutôt parler des rites accompagnant ces nouilles. Parce qu'il y avait des rites ? Oui, c'est vrai, pour un même bol de nouilles, chacun avait ses habitudes. Les gastronomes avaient les leurs, bien établies. Un exemple : on s'asseyait à une table et on appelait le serveur :
"Hep ! (à l'époque, on ne disait pas "camarade!") Un bol de nouilles de... !"
Au bout d'un instant, le garçon répondait d'une voix forte :
"Voilà, j'arrive ! Un bol de nouilles de..."
Pourquoi ne venait il pas immédiatement ? Parce qu'il attendait que le client ait précisé : nouilles al dente ou bien cuites, natures ou avec bouillon ; vertes ou blanches (avec ou sans ciboule) ; riches (bien grasses) ou légères (sans graisse) ; sauce longue (avec plus de sauce que de nouilles) ou sauce courte (avec plus de nouilles que de sauce) ; nouilles sur l'autre rive : la sauce, au lieu d'être versée sur les nouilles, est présentée à part sur une assiette et l'on doit "faire le pont" entre le bol et l'assiette.
Quand c'était Zhu Ziye qui arrivait dans le restaurant, on entendait le serveur prendre son souffle et lancer : "Voilà, je viens ! Un bol de crevettes sautées en accompagnement, nouilles sur l'autre rive, beaucoup de bouillon, vertes, sauce longue, al dente."

"Le dosage du sel" (extrait)

"Camarades, lequel d'entre vous pourra répondre à ma question : qu'elle est l'opération la plus difficile à réaliser en cuisine ?"
La salle s'anima et les propositions fusèrent :
"Le choix des ingrédients !
- La façon de découper !
- L'intensité du feu !"
Zhu Ziye secoua la tête :
"Non, non ! vous n'y êtes pas ! c'est la chose la plus simple du monde et en même temps la plus compliquée : je veux parler du dosage du sel."
L'intérêt des auditeurs était piqué. Qui eut cru que ce savant gastronome pensait à une opération aussi simple, un geste que même une gamine sait faire ! Car c'est une scène bien ordinaire que de voir une vieille femme faire la cuisine et dire à sa petite fille : "Tu mettras du sel dans la marmite !" avant d'aller laver le riz au puits.
Pour toute chose, il en va ainsi : la simplicité la plus grande alliée à l'extrême complexité cache toujours une somme de connaissances. D'ailleurs nos vieux chefs-cuisiniers hochaient la tête en signe d'approbation, estimant que Zhu Ziye touchait là un point essentiel.
Zhu Ziye commença à développer sa thèse :
"La cuisine de l'Est est acide, celle de l'Ouest est pimentée ; au Sud on mange sucré, au Nord salé. Pour qualifier la cuisine de Suzhou, les gens n'ont qu'un mot à la bouche : sucrée. Mais c'est une aberration ! Car le dosage du sel est ce qu'il y a de plus subtil dans la réalisation des plats de Suzhou ; quand je dis cela, j'exclus évidemment les plats sucrés. Le sel fait ressortir tous les goûts. Une soupe de poumons de barbeaux qu'on a oublié de saler est triste, sans goût ; aucun ingrédient ne garde sa saveur. Tandis qu'avec le sel, tout y est : la fraîcheur des poumons de barbeaux, la saveur du jambon, la fluidité de la mauve d'eau, le croquant des pousses de bambou. Quand toutes les saveurs s'épanouissent, le sel s'efface.
Je vous mets au défi de trouver quelqu'un qui ait un jour perçu la présence du sel dans un plat dont le dosage avait été soigneusement fait. Mais si on a mis trop de sel ? Un goût vous envahit, le goût du sel !
On a raté son plat... et perdu son temps à couper les ingrédients, choisir les assaisonnements et régler l'intensité du feu !"

Un article ajouté le 29/02/16  - Mis à jour le 12/06/19 .

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