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Lécluse, Louis de Thillay dit de

Lécluse, Louis de Thillay dit de
Lécluse, Louis de Thillay dit de

Auteur : Louis de Thillay dit de Lécluse (1711-1792)

Le Déjeuné de la Rapée ou discours des halles et des ports, (1748).

Saisie du texte : Sylvie Pestel pour la collection électronique de la Bibliothèque Municipale de Lisieux (24.II.1999)
Texte relu par : A. Guézou

https://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)

Orthographe et graphie conservées

Texte établi sur un exemplaire de l'édition donnée à Paris en 1945 par Jacques Haumont.

Le Déjeuné de la Rapée ou discours des halles et des ports par M. de l'écluse.

Le dernier jour de Carnaval,
A trois heures je fus au Bal,
En équipage de Poissarde,
Là, contrefaisant la Mignarde,
Dans une Loge à l'Opéra,
Un Abbé de moi s'approcha :
Parbleu, dit-il, Dame Françoise,
Votre Corset de Siamoise,
Sur mon honneur est fait au tour :
Ce petit chef-d'oeuvre du jour,
Renferme une gorge bien dure.
TON POISSARD

Allez, l'Abbé c'est imposture,
Lui dis-je, en lui poussant la main
Dont le jeu devenoit badin.

Comment donc, me dit-il, la belle,
Vous voulez faire la cruelle !
Laissez-moi prendre ces Tettons.

Allez, Monsieur Tâte-chiffons,
Je n'voulons de badinage,
Qu'en magniere de mariage :
Croit-il que j'avons destiné
Not'honneur pour son chien de né ?
Non ; je l'gardons à la Tulipe
Qui nous a confié sa pipe,
Pour assurance d'ses amours,
Parquoi j'laimons sans détours.

Par ma foi, tu serois bien sotte ;
Viens manger d'une Matelotte,

Et boire d'un excellent Vin,
Avec un aimable blondin
Qui m'attend au Moulin d'Javelle.

Allez donc, Monsieur sans çarvelle,
S'il n'a pas d'autre Messager,
Sans nous il pourra la manger ;
J'suivons la méthode de Biauce,
Où chaque Poisson a sa sauce ;
La mienne est à la Croque au Sel,
La Vôtre à la Maître-d'Hôtel :
Je n'voulons pas d'mélange,
Et not' goût jamais n'change.

Que ton propos tient du marché !

Pas vrai, Monsieur l'déhanché ?
Je n'sommes pas de ces Grisettes
Qu'avons quantité d'Amourettes,
Ni de ces Donzelles à Bichons,
Qui soutenons des Greluchons.
Voyez ce Muguet trousse-Cotte,
Qui voudroit nous manier LA RIME ;
Oui, c'est pour lui qu'on cuit cheu moi !
Quien, l'Abbé, v'la toujours pour toi,
N'me touche pas, c'est autant d'tache,
Ou j'te frise la moustache

Avec le cul de mon Chaudron,
Chien d'Perroquet de Mont-Faucon !
Il fuit avec sa courte honte ;
Il faut jusqu'au bout qu'on l'affronte.
Adieu, Monsieu le Calotin,
Reste de lepre & de farçin,
Adieu donc Coureur de Cornettes,
Casuiste des Marionnettes ;
Adieu, vilain singe à Rabat,
Vrai figure de Célibat :
Bon soir, Espalier de la Gréve,
Que Dieu m'écoute, & qu'il te créve.

A peine eus-je achevé ces mots, que nombre de Masques de l'un & de l'autre Sexe m'emmenèrent au Cabinet des Glaces, où l'on me proposa le fin déjeuné de la Rapée, & de passer au Cimetiere Saint-Jean, pour nous faire dire des pouilles. J'acceptai les deux propositions, & nous commençâmes par le Cimetiere Saint-Jean, où j'attaquai la Nannette Dupuy, l'une des plus fortes gueules de cette vengeance grossiere, en lui marchandant douze Merlans, dont je lui offris le sixieme de ce qu'elle les avoit apréciés : ce fut assez pour se faire dire autant d'imprécations que le Pape en peut absoudre.

Elle ne fut pas longtems à réfléchir sur sa Harangue orduriere, qu'elle nous rendit avec une candeur qui blessa les oreilles féminines qui m'avoient accompagné.

(Ce qui les obligea de se retirer dans leur Carosse). Je ripostai avec Epigramme à chaque horreur de cette Poissarde, qui soutint environ trois quarts d'heure, après lequel tems, la voyant à quia, je pris congé d'elle en ces termes :

TON POISSARD

Adieu, Margot la profiteuse, infectée gueule à crapaut : garde ton Poisson, il est pourri, tu mets des influences de la Lune sur les ouïes, pour le faire paroître frais : la vente du Poisson n'est pas le plus fort de ton gagnage. C'est l'trafic de la chair humaine qui te soutient dans tes biaux atours ; commode à tout usage, vas, j'te reconnoissons ben, donneuse de nouvelles à la main : tu as plus tué d'hommes en quatre mois d'hiver, que la Pucelle d'Orléans n'a détruit d'Anglois en sa vie. Tu n'auras jamais d' not' argent, j'aimons mieux agir comme les gens d'campagne, faire valoir not' bien par nos mains ; va te cacher, dépouilleuse d'enfans dans les allées ; tu as eu la tapette & l'baudru ; j't'avons vu faire la procession dans la Ville, derrière le Confessionnal à deux roues à CHARLOT Casse-bras, qui t'a marqué l'épaule au poinçon d'Paris.

Adieu, figure d'oignon pellé, qu'on ne sçauroit voir sans pleurer ; gueule d'empeigne garnie de clouds de girofle enchassés dans du pain d'épice.

Du derriere de ma Boutique tu en ferois ben ton étalage, pas vrai : magneuse de Jugeottes, Patraque démantibulée ; vieille Citadelle démolie, Mazure abandonnée, Gouffre de Chair, Cloaque empesté, Sac à graillon, Moule à Satan, Barque à Caron : vas, si j'faisions un Chapelet de M... tu ferois ben le Pater.

Je passai à une autre, & lui dis des gaudrioles qu'elle prit assez bien, ce qui détermina le Marquis De... à quitter le corps de réserve pour me venir joindre : il prit le ton badin avec cette fille, dont la figure étoit capable de réveiller les plus assoupis, et lui dit que ses Merlans étoient courts.

TON POISSARD

Courts, Monsieu ? (lui dit-elle) vous n'y pensez pas, en v'là de plus petits, de plus moyens, & v'là les grands d'la saison que j'vous vendrons cent sols la d'mi-douzaine : allons, bijou, étrennez-nous joyeusement ; ça nous porta un heur de Dieu.

Tu te moques (dit le Marquis) : ils ne valent pas quarante sols.

Quarante sols ? (dit la Marchande) : on vous en fout.

Ma foi, c'est assez, (dit le Marquis) : ils ne sont pas si longs que mon...

TON POISSARD

Allez, menteu, j'crois qu'vous n'cachez pas tous vos Molets dans vos bas, c'est comme la barque d'Aniere, ça ne sart plus qu'à passer l'iau : j'suis sûre que si je l'prenions, j'aurions bientôt conclu not marché avec vous, & je ne nous tiendrions pas à grand'chose : allez, Monsieur, j'sommes une brave & honnête Fille, guieu marci ; mais on ne nous en fera pas accroire là-dessus. Ecoutez, gros gausseux, j'allons vous donner six Merlans... & si v'là tout.

Je le veux bien (dit le Marquis) : mais je gage un Louis contre tes Merlans qu'il y a bien à dire.

TON POISSARD

Va (dit la Curieuse) : qui ne risque rien n'a rien. Tiens, (dit le Marquis).

TON POISSARD

Ah, mon cher Monsieu ! hé vraiment oui. Ce n'est rien que mes Merlans au prix. Vous les avez gagnés, ils sont à vous : j'vous les donnons d'un grand coeur. Là, là, vous êtes bien pressé. J'aimons mieux vous donner encore six Merlans, et pis j'voulons voir si vous nous farcinez pas les yeux.

C'est trop juste, (dit le Marquis) : contente-toi, & garde tes Merlans.

TON POISSARD

Ah ! ah ! chien ! hay, parle donc, ma Commere ! eh ! ma Commere. Hai, viens donc voir ; viens donc voir.

Nous quittâmes cette jolie Poissonniere pour aller joindre la Compagnie & déjeuner à la Rapée ; à peine fûmes-nous débarqués de la voiture, que j'entendis des Mariniers chanter à tour de mâchoires ; j'approchai d'eux pour les écouter sans être apperçu ; mais ils cesserent leurs Cantiques Bachiques pour boire un coup de Rogome.

A ta santé, toi ; (dit l'un d'eux d'une voix enrouée) : grand merci, à la quienne aussi.

Cette cérémonie fit faire un silence qui m'ennuya : j'étois sur le point de m'en aller, lorsqu'un de ces Rustres dit :

D'UNE VOIX ENROUéE

Hay, Nicolas ! Donne-moi un peu d'tabac en fumiere. J'n'en avons sarpedié pas une gringuenaude (*dit Nicolas*) ; j'nai qu'du tabac en rapiere que j'avons eu hier d'un homme de Plume qu'j'avons passé dans not' Bachot, avec la valicence de plus d'eune chartée d'Bénédictions : quien, j'vas t'conter ça.

Continuant d'une voix enrouée.

Hier j'déjeunis avec le fils d'Monsieu Saint-Louis, l'Maître passeux d'la Porte d'la Circonférence, stila qu'j'avons une fois tiré de ce préjudice auprès du Pont d'Saint-Maur ; & pis Cadet Jambe de Creux, le fils du Chiffre de la Ville, qui joue de la Flûte traparciere, des Claquessins, des Timballons et Clappinettes : comme j'les r'passions d'l'aute bord avec st'homme de Plume, on m'applit pour accueillir ; j'pris dans mon Bachot tras Docteux d'la Sarbonne, et pis l'Père Honoré, qu'est un des premiers Ministres d'la Loi.

Les v'la entre zeu qui parliont d'la Constraction ; moi j'dis comme ça : Mon Révérend Père, excusez d'la libertance que j'prenons qu'est ce que c'est donc que ste Constraction, est-ce encore queuque Impôt qu'y veulent mettre sur nos Bachots ?

Non, (dit Jambe de Creux) : la Constraction en stile Marquentin, c'est une Lettre de Change tirée par le P. à l'ordre des J... sur la France, pour valeur reçue comptant, qui, (ne l'ayant pas voulu accepter) reste pour leur compte, & n'ont osé, les J..., en demander le remboursement au S. P. Tous les Ecrits qui ont été faits jusqu'à présent sont le protês.

V'là un d'ces Docteux qui ly souquient que non ; il se prend avec l'Docteux : v'là ce Docteux qui l'y demande s'y sçavoit son Catéchime, & combien il y a de Guieux ; il a sapardié été ben embarrassé. Mois j'étois toujours à pousser hors avec mon croc en arboutant : quand j'ai vu qui n'répondoit pû adrume, j'ly dis moi : Ote-toi d'là, tu gnais pû : T'nez mon Révérend Père, je n'sommes pas distillé dans la vocation du Parlementage, j'n'avons pas la parole en main comme vous ; mais t'nez, y a mon frère qu'est l'Frère Prêcheux d'la Charité : y vous fera voir que dans not' famille j'ons toujours eu queuque connoissance de l'Ecriture, & que j'savons note Catéchime, dà.

(Un autre dit) : J'passi, y a tras jours une Demoiselle d'Opira, qui étoit avec deux Plumets ; là v'là, sous vot' respect qui s'assit sur la levée de mon Bachot entre ces deux Cadets ; je l'avisis qui couloit sa main en douceur, là... pour à cel fin de tenir à queute chose en cas d'malheur ; je la reluquois, alle voulut, à cause de ça, nous ficher la gouaille : prends garde, dit-elle, de nous couler à fond, en t'amusant à nous r'garder. Mameselle, lui fis-je, allez, vous n'avez rien à risquer, ça n'y va jamais.

Alle voulut jaspiner avec moi, à m'demandit si j'aimerois mieux faire aute chose que d'ramer ; j'ly disis sans barguiner, que je ne souhaiterions qu'une chose pour toute héritance. Qu'est-ce que c'est, dit-elle ?

Que mon Bachot, lui fis-je, soit parcé de trente trous, & que chaque trou me rapportit autant que... vous m'entendez ? suffit... je serois, jarnigué ! pû content que l'Roi.

L'abreuvoir manqua ; on se leva, en disant (d'un ton enroué) : Allons charcher des cendres à la Paroisse, sans quoi j'n'aurions pas... à Confesse.

J'entrai chez Chapelot retrouver ma Compagnie qui m'avoit accusé de désertion, je leur racontai les Histoires que je venois d'entendre & l'on me demanda pendant le Déjeuné les suivantes.

Un marinier rencontrant un de ses Compatriotes sortant du Salut de S. Sulpice, lui dit : Hay, Jacot, veux-tu payer demi-sequier ? Non, dit Jacot, laisse-moi, j'suis d'une colere d'un chien : qu'est-ce que t'as donc ? Ce que j'ai ? Est-ce que tu n'étois pas au Salut ? Si fait, & ben ! t'a pas vu l'tour qu'on m'a fait ? Non, ou l'Guiable m'estringole ? queu tour donc ? Comment, ce Monsieur Clairgnanbault, l'Organis de S. Sulpice s'en est venu m'accueillir & m'dire comme ça : Jacot, veux-tu venir jouer des Ogres avec moi ? Je l'veux ben, lui fis-je : j'montons avec ly, j'faisons la convenance ; j'pernons l'ton ; j'ly souffle Pange lingua, l'chien joue l'Te Deum.

La fille de la Ango, Fruitiere des Halles, épouse d'un Agent de Change, passant un mois après son mariage, dans son territoire natal, fit arrêter son Carrosse pour parler à ses anciennes connoissances de quartier, qu'elle appella de sa portiere, en son idiome ordinaire.

D'UN TON POISSARD

Hay ! Marie-Louise, hay ! Marie-Jeanne, ma Comere, mon Copere. Eh v'nez donc me parler.

Eh ! Qu'est-ce donc là qui vous appelle, (dit une voisine) : Qu'est-ce, (dit Marie-Louise) : Alle ne la reconnoît pas ; eh ! c'est la fille de Mameselle Ango, la grosse Friquiere Orangere. Quoi ! C'est-y là elle ? (*dit la Voisine*) : & vante t'enzen, (dit Marie-Jeanne) : dame alle est comme une Princesse. Hay, allons ly parler ; qu'est-ce que j'risquons donc ? Est-ce que tu viens avec nous toi, Copere ?

TON ENROUé

Vantez qu'j'irons, & des plus fier d'la bande encore.

TON POISSARD

Qui, toi ? Mannequin. (dit Marie-Louise).

TON ENROUé

Apparemment, Madame Casaquin.

TON POISSARD

Et mais ! vraiment, Monsieur Jérôme, Tu te présentes comme un Atôme, Ote-toi d'là, tu t'effarouches.

TON ENROUé

Allez, que Gargantua vous bouche.

TON POISSARD

Nous lairras-tu, chien d'Epagneux ? Hay, Marie-Jeanne, viens-y nous deux. Bonjour, Mameselle Manon. Eh, comme vous v'là brave ; je n'vous reconnoissons pû ; où allez-vous donc comme ça. J'm'en vas acheter des Livres pour mon heume qui fait une Biblioteque : y ma dit de prendre le Montlheri nouveau, Bestiol et Cul-de-Jatte, & les Métaphores d'Olive de la dernière Opression. Dis donc, viendras-tu nous voir ? J'sommes ben logé, dà ; j'avons Champignon sus rue : c'est une belle Maison où l'y a des crampes de fer, j'avons deux Salles remplies de belles Dépeintures avec des Cadavres dorés, des Blanquettes de Moquette en magniere de velours, & des Rustes de cristal minéral ; du Vestanbule on voit dans not' Jardin des Piralires et des Estatues sur des pieds détestables ; j'avons des stafilades d'appartemens d'arache-pied, avec des portes d'escommunications ; de belles Tapisseries d'Autelute ; j'te regalerons ben ; j'mangeons dans nos Frécassés, des Treffles, des Manilles, des Moucherons ; à not' Dessert, j'avons des Raisins de Coriande, des Mâche-Pains, des Castilles en magniere de Conserve, j'buvons des Vins d'rigueurs et d'la Crème des Barbares.

Not heume est habillé, Dieu sçait comme ; quien ! mon Enfant, il a des Vestes de Franchipannes & de Moëlle d'Or, des bas de Laine de Sigrosvie à ses jambes. Dame, il a le moyen de soutenir tout ça, par rapport que Monsieu son Pere a eu le vent en croupe ? c'est ce qui fait qu'il a acheté de belles & bonnes Rentes voyageres ; il a une Terre qui a des droits de Dos & Ventre ; il est Propriétaire d'une bonne Farme dont son Neveu en est l'Usurier Fruitier, par un bail Amphibologique.

Il est d'une bonne famille, il a un Cousin qui joue des Ogres, un autre qui a étudié, qui s'est fait passer Maîte Lazard, un autre qui assassine les Plaideux aux Consuls, une Cousine qui est Tourtiere dans un Couvent, et une Soeur qui a épousé un Cent de Suisses de cheux le Roy.

Son Compere Jérôme l'interrompit

D'UNE VOIX ENROUéE

Sapejeu ! Mameselle Manon, (lui dit-il) : y gna qu'heur & malheur dans ce monde-ci. Il faut que chacun s'pousse ; sçavez-vous que depuis que j'n'ai eu la valicence de vous voir, j'nous sommes produit l'investiture d'une Charge de Corporal du Guet à pied, à cause que j'me suis toujours senti du goût pour ce qui est en cas du fait des armes. A propos d'ça, voulez-vous boire une goutte de Paf ?

TON POISSARD

Je l'voulons ben (dit Mlle Ango, en appelant son Laquais). Saint-Jean, vas nous chercher d'misequier d'Rogome, j'burons dans l'Carosse.

Marie-Louise & sa Camarade y monterent, Jérôme fit le quatuor ; l'on y but un Pot d'Eau-de-Vie à la fumée de sa Pipe, & à la Santé de Mademoiselle Ango, de rechef & en réitérant ; Marie-Louise chanta comiquement ce grand air.

ERIS, pour dépeindre les Fleurs,
Qui brident sur votre visage,
Brouillons ensemble les couleurs ;
Et je vous ferai votre Image :
Dans une Coquine maline,
Dont vous a fait présent S. Prix
Vous portez la Crotte Divine,
Qui produit ce beau Canary,
Et rend vivante la Peinture.
Ah ! si j'y trempois mon Balet,
J'éviterois tant la Nature ;
Que je ferois votre Portrait.
Marie-Jeanne commença celui-ci.

FLAMBEAU des Ciels,
Pour braver ton ardeur burlante,
Nous cherchons ces aimables yeux :
Tout inspire dans ce seurjour ;
Le guieu d'Amour,
Il quient sa Cour.
L'onde murmure, remure, mure.
Dourcement...

Un hoquet l'empêcha de continuer, & lui fit rincer la bouche avec son diné sur la robe de Mlle Ango, qui s'en fut fort courroucée de son indiscrétion.

Notre déjeuné se passa gaiement. En montant en carosse pour nous en retourner, j'apperçus un Fareau en chemise blanche, le toupet cardé, Pipe en bouche & la Canne à la main, je lui dis d'un ton de Port :

Parle donc, hai, chien ; les jours ouvrables sont-ils faits pour se promener ?

Tais-toi, (me dit-il), Timbalier du Roi d'Maroc ; si j'avons le darriere ouvert, ce n'est pas à toi à fourer ton nez dedans, Aide-de-Camp du Pont S. Michel, tu nous craches la crême de ton discours dans le visage.

Attends, (lui dis-je), membre de Gueux ; j'allons te dire ta Ginéalogie : ton Fils est Page public, il porte un noeud d'épaule de bois sur quoi il décrotte les Souliers de ses Pratiques ; une partie de ta Famille a fait dépaver la Greve.

Ton Pere a été étouffé dans la filasse, il est mort en l'air avec un Bonnet de nuit de Cheval au col en faisant une grimace dans le Pont-Rouge.

Ton Frere a été exposé sur le Guéridon à jour.

Ton Cousin noyé dans un cent de fagots.

Ils ont fait gagner le Pere Nouricier des Perroquets de la Villette.

Ça ne t'épouvante pas ; tu serois ben quinze jours au Carcan sans rougir ; pas vrai, reste de volaille de Mont-Faucon ; Saint Cartouche est ton Patron, Marionnette du Pilory ; Syndic des Maqueraux, Ballustre de la Greve, ornement d'échafaud ; va, si je faisois un Fagot de J... tu ferois le plus fort parement.

NOTICE

La littérature poissarde forme un genre éphémère de la littérature populaire du milieu du XVIIIe siècle. Création de Vadé, l'auteur de La Pipe cassée et des Bouquets poissards, elle fut fort appréciée de «nombre de gens de distinction, de goût et de lettres» qui s'en divertirent «extrêmement». Le comte de Caylus et quelques autres membres de la société aristocratique cultivèrent ce genre avec un égal succès.
Le Déjeuné de la Rapée est une des oeuvres les moins connues et les plus savoureuses de ce temps, où il fut de bon ton que s'encanaillât la noblesse. Elle fait en outre revivre à nos yeux quelques scènes pouplaires d'une époque heureuse.

Achevé d'imprimer, le 25 mars 1945, à 350 exemplaires numérotés de I à 350, par Jacques Haumont, imprimeur à Paris. Exemplaire N°92.

Crédit photo : quattrostagioni

Un article ajouté le 29/02/16  - Mis à jour le 15/06/21 .

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