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Suskind (Patrick)

Suskind (Patrick)
Suskind (Patrick)

Patrick Süskind

Ecrivain et scénariste allemand. Il est né le 26 mars 1949 à Ambach, en Bavière près de Munich et a grandi dans le village bavarois de Holzhausen. Il étudie l’histoire (histoire médiévale et contemporaine) et la littérature à Munich et à Aix-en-Provence. Il travaille ensuite comme scénariste pour la télévision. Le Parfum est son premier roman édité pour la première fois en 1985 à Zurich, sous le titre Das Parfum, Die Geschichte eines Mörders, puis traduit en français . Il vaut à son auteur un succès mondial. Il a d'ailleurs fait l'objet d'une adaptation au cinéma en 2006 : Le Parfum, histoire d'un meurtrier.

Le parfum

Extrait :

Les circonstances de la naissance de Jean Baptiste Grenouille (extrait)... Une merveille !

Et c'est naturellement à Paris que la puanteur était la plus grande, car Paris était la plus grande ville de France. Et au sein de la capitale il était un endroit où la puanteur régnait de façon particulièrement infernale, entre la rue aux Fers et la rue de la Ferronnerie, c'était le cimetière des Innocents. Pendant huit cents ans, on avait transporté là les morts de l'Hotel-Dieu et des paroisses circonvoisines, pendant huit cents ans on y avait jour après jour charroyé les cadavres par douzaines et on les y avait déversés dans de longues fosses, pendant huit cents ans on avait empli par couches successives charniers et ossuaires. Ce n'est que plus tard, à la veille de la Révolution, quand certaines de ces fosses communes se furent dangereusement effondrées et que la puanteur de ce cimetière débordant déclencha chez les riverains non plus de simples protestations, mais de véritables émeutes, qu'on finit par le fermer et par l'éventrer, et qu'on pelleta des millions d'ossements et de crânes en direction des catacombes de Montmartre, et qu'on édifia sur les lieux une place de marché.
Or c'est là, à l'endroit le plus puant de tout le royaume, que vit le jour, le 17 juillet 1738, Jean Baptiste Grenouille. C'était l'une des journées les plus chaudes de l'année. La chaleur pesait comme du plomb sur le cimetière, projetant dans les ruelles avoisinantes son haleine pestilentielle, où se mêlait l'odeur des melons pourris et de la corne brûlée. La mère de Grenouille, quand les douleurs lui vinrent, était debout derrière un étal de poissons dans la rue aux Fers et écaillait des gardons qu'elle venait de vider. Les poissons, prétendument pêchés le matin même dans la Seine, puaient déjà tellement que leur odeur couvrait l'odeur de cadavre. Mais la mère de Grenouille ne sentait pas plus les poissons que les cadavres, car son nez était extrêmement endurci contre les odeurs, et du reste elle avait mal dans tout le milieu du corps, et la douleur tuait toute sensibilité aux sensations extérieures.

.../...

Jean Baptiste Grenouille et sa nourrice

  • Non, dit la nourrice, mes enfants ont l'odeur que doivent avoir des enfants d'homme.
    .../...
    • Tu prétends donc savoir quelle odeur doit avoir un enfant d'homme, qui malgré tout est aussi (je te le rappelle, d'autant qu'il est baptisé) un enfant du Bon Dieu ?
    • Oui dit la nourrice.
    • Et tu prétends de surcroît que s'il n'a pas l'odeur que tu penses qu'il devrait avoir, toi, la nourrice Jeanne Bussie, de la rue St Denis, c'est qu'alors c'est un enfant du Diable ?
      .../...
      Ce n'est pas ce que je voulais dire, répondit-elle en faisant machine arrière. Si cette affaire a ou non quelque chose à voir avec le diable, c'est vous qui devez en décider, père Terrier, ce n'est pas dans mes compétences. Je ne sais qu'une chose, c'est que ce nourrisson me fait horreur, parce qu'il n'a pas l'odeur que doivent avoir les enfants.
    • Ah ! ah ! dit Terrier satisfait en laissant retomber son bras comme un balancier. Sur cette histoire de diable, nous nous rétractons donc. Bien. Mais alors, aurais tu l'obligeance de me dire quelle odeur a donc un nourrisson quand il a l'odeur que tu crois qu'il doit avoir ? hein ?
    • Une bonne odeur, dit la nourrice.
    • "Bonne", ça veut dire quoi ? cria Terrier à la figure de la femme. Il y a bien des choses qui sentent bon. Un bouquet de lavande sent bon. Le pot-au-feu sent bon. Les jardins de l'Arabie sentent bon. Comment sent un nourrisson, je voudrais bien le savoir !
      La nourrice hésitait. Elle savait bien quelle odeur avait les nourrissons, elle le savait parfaitement bien, ce n'est pas pour rien que par douzaines elle en avait nourri, soigné, bercé, embrassé... Elle était capable, la nuit, de les trouver rien qu'à l'odeur et, à l'instant même, elle avait très précisément cette odeur de nourrisson dans le nez. Mais jamais encore elle ne l'avait désignée par des mots.
    • Eh bien ? aboyait Terrier en faisant claquer le bout de ses ongles.
    • C'est que, n'est ce pas, commença la nourrice, ce n'est pas très facile à dire, parce que... ils ne sentent pas partout pareil, quoiqu'ils sentent bon partout, mon Père, vous comprenez... Prenez leurs pieds, par exemple, eh bien, là ils sentent comme un caillou lisse et chaud; ou bien non, plutôt comme du fromage blanc... ou comme du beurre, comme du beurre frais, oui, c'est ça : ils sentent le beurre frais. Et le reste du corps sent comme... comme une galette qu'on a laissé tremper dans le lait. Et la tête, là, l'arrière de la tête, où les cheveux font un rond, là, regardez, mon Père, là où vous n'avez plus rien...
      Et comme Terrier, médusé par ce flot de sottises minutieusement détaillées, avait docilement incliné la tête, elle tapotait sa calvitie.
      -... c'est là, très précisément qu'ils sentent le plus bon. Là, ils sentent le caramel, cela sent si bon, c'est une odeur si merveilleuse, mon Père, vous n'avez pas idée ! Quand on les a sentis à cet endroit là, on les aime, que ce soient les siens ou les enfants des autres. Et c'est comme ça et pas autrement, que doivent sentir les petits enfants. Et quand ils ne sentent pas comme ça, quand là haut derrière la tête ils ne sentent rien du tout, encore moins que l'air froid, comme celui-là, ce bâtard, alors... Vous pouvez expliquer ça comme vous voulez, mon Père, mais moi...
      Et elle croisa résolument les bras sous ses seins en jetant sur le panier qui était posé à ses pieds un regard aussi dégoûté que s'il avait contenu des crapauds.
      "... moi, Jeanne Bussie, je ne reprendrai pas ça chez moi !"

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Un article de Chef Simon ajouté le 29/02/16  - Mis à jour le 10/03/22.

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