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Brillat Savarin (Jean Anthelme)

Brillat Savarin (Jean Anthelme)
Brillat Savarin (Jean Anthelme)

Jean Anthelme Brillat Savarin

Ainé de huit enfants, Jean Anthelme Brillat nait à Belley dans le Bugey en 1755, où il prit goût à la cuisine. Sa mère était un cordon bleu accompli. Une de ses tantes en fait son légataire universel à condition qu'il porte son nom. Il devient donc J.A. Brillat-Savarin.
Dans sa famille on est gens de robe de père en fils, il fera donc ses études de droit à Dijon, complétées par un peu de médecine et de chimie.

Il devient avocat au tribunal civil de Belley et est élu député du Tiers Etat à l'Assemblée Constituante. Il se fera remarquer à la tribune par un discours contre l'abolition de la peine de mort. Son royalisme est connu, le tribunal révolutionnaire l'accuse de "modérandisme" et lance un mandat d'amener contre lui.

Il va donc s'exiler en Suisse, puis en Hollande d'où il s'embarque pour l'Amérique. Il va y rester deux ans environ, vivant de leçons de français et d'un emploi de violon dans l'orchestre du John Street Theater de New York. Il y découvre le dindon, le welsh rarebit et le korn beef (boeuf mi-sel) et enseigne l'art des oeufs brouillés à un chef français Jean Baptiste Payplat, ancien cuisinier de l'archevèque de Bordeaux installé à Boston où il possède un établissement du nom de Julien's restorator (traduction du nouveau mot français "restaurant" qui commençait à signifier "établissement où l'on sert à manger).
Il obtient l'autorisation de regagner la France en 1796 mais il est dépouillé de ses biens.
En 1800 il est nommé conseiller à la cour de cassation, fonction qu'il occupera jusqu'à sa mort.
Célibataire, il s'intéresse à l'archéologie, l'astronomie, la chimie et bien sur la gastronomie.
Il apprécie les bons restaurants, reçoit beaucoup chez lui à Paris et cuisine lui même quelques spécialités comme l' omelette au thon et le filet de boeuf aux truffes.
Il trouve la mort en 1826 à l'issue d'une messe célébrée à la mémoire de Louis XVI dans la basilique Saint-Denis au cours de laquelle il avait pris froid.

Deux mois avant son décès, paraissait en librairie, sans nom d'auteur, le livre qui allait le rendre célèbre : "Physiologie du goût ou méditations de gastronomie transcendante, ouvrage théorique, historique et à l'ordre du jour, dédié aux gastronomes parisiens par un professeur, membre de plusieurs sociétés littéraires et savantes".
Le livre connut un succès immédiat, suscita l'enthousiasme de Balzac mais aussi la jalousie de certains comme Carême et le mépris de Baudelaire. Brillat-Savarin voulait faire de l'art culinaire une véritable science d'où un certain pédantisme dans les explications.
Il se livre à une analyse très poussée de la mécanique du goût. Il discourt sur la maigreur et l'obésité, sur l'influence de la diète sur le repos, le jeûne, l'épuisement et la mort.
Il traite son sujet comme une science exacte, en remontant des effets aux causes.
Mais il est aussi un conteur aux innombrables anecdotes, un défenseur de la gourmandise, au style élégant et non dépourvu d'humour.
Les meilleures pages de la physiologie du goût concernent les observations de Brillat-Savarin sur certains aliments et préparations : le pot-au-feu et le bouilli, la volaille et le gibier, les truffes, le sucre, le café et le chocolat.
Son "histoire philosophique de la cuisine" est à la fois érudite et humoristique, allant de la découverte du feu jusqu'à la fin du siècle de Louis XVI.
Son nom a été donné à deux nombreux apprêts et à une garniture faite d'un salpicon de foie gras et de truffes. Celui-ci peut être dressé dans des tartelettes ou des croustades en pommes duchesse pour accompagner certains gibiers ou des noisettes d'agneau, ou bien utilisé pour fourrer une omelette.
Une autre garniture de ce nom, à base de pointes d'asperge, accompagne les oeufs mollets.

Merci à M. Bensoussan de nous avoir éclairé de ses lumières.

La Physiologie du goût

DE L'APPETIT
DE LA GASTRONOMIE
DE L'ALIMENT

Définition de l'appétit

Le mouvement et la vie occasionnent dans le corps vivant une déperdition continuelle de substance ; et le corps humain, cette machine si compliquée, serait bientôt hors de service, si la providence n'y avait placé un ressort qui l'avertit du moment où ses forces ne sont plus en équilibre avec ses besoins. Ce moniteur est l'appétit. On entend par ce mot la première impression du besoin de manger. L'appétit s'annonce par un peu de langueur dans l'estomac et une légère sensation de fatigue. En même temps, l'âme s'occupe d'objets analogues à ses besoins ; la mémoire se rappelle les choses qui ont flatté le goût ; l'imagination croit les voir ; il y a là quelque chose qui tient du rêve. Cet état n'est pas sans charmes ; et nous avons entendu des milliers d'adeptes s'écrier dans la joie de leur coeur : "quel plaisir d'avoir un bon appétit, quand on a la certitude de faire bientôt un excellent repas !" Cependant l' appareil nutritif s'émeut tout entier : l'estomac devient sensible ; les sucs gastriques s'exaltent ; les gaz intérieurs se déplacent avec bruit ; la bouche se remplit de sucs, et toutes les puissances digestives sont sous les armes, comme des soldats qui n'attendent plus que le commandement pour agir. Encore quelques moments, on aura des mouvements spasmodiques, on bâillera, on souffrira, on aura faim. On peut observer toutes les nuances de ces divers états dans tout salon où le dîner se fait attendre. Elles sont tellement dans la nature, que la politesse la plus exquise ne peut en déguiser les symptômes ; d'où j'ai dégagé cet apophthegme : de toutes les qualités du cuisinier, la plus indispensable est l'exactitude.

De la Gastronomie (extraits)

(Editions Champs Flammarion p 60)

Origine des sciences

Les sciences ne sont pas comme Minerve, qui sortit tout armée du cerveau de Jupiter ; elles sont filles du temps, et se forment insensiblement, d'abord par la collection des méthodes indiquées par l'expérience, et plus tard par la découverte des principes qui se déduisent de la combinaison de ces méthodes. Ainsi, les premiers vieillards que leur prudence fit appeler auprès du lit des malades, ceux que la compassion poussa à soigner les plaies, furent aussi les premiers médecins. Les bergers d'Égypte, qui observèrent que quelques astres, après une certaine période, venaient correspondre au même endroit du ciel, furent les premiers astronomes. Celui qui, le premier, exprima par des caractères cette proposition si simple : deux plus deux égalent quatre, créa les mathématiques, cette science si puissante, et qui a véritablement élevé l'homme sur le trône de l'univers. Dans le cours des soixante dernières années qui viennent de s'écouler, plusieurs sciences nouvelles sont venues prendre place dans le système de nos connaissances, et entre-autres la stéréotomie, la géométrie descriptive et la chimie des gaz. Toutes ces sciences, cultivées pendant un nombre infini de générations, feront des progrès d'autant plus sûrs que l'imprimerie les affranchit du danger de reculer. Eh ! Qui sait, par exemple, si la chimie des gaz ne viendra pas à bout de maîtriser ces éléments jusqu'à présent si rebelles, de les mêler, de les combiner dans des proportions jusqu'ici non tentées, et d'obtenir par ce moyen des substances et des effets qui reculeraient de beaucoup les limites de nos pouvoirs !

Origine de la gastronomie. 17 - La gastronomie s'est présentée à son tour, et toutes ses soeurs se sont approchées pour lui faire place. Eh ! Que pouvait-on refuser à celle qui nous soutient de la naissance au tombeau, qui accroît les délices de l'amour et la confiance de l'amitié, qui désarme la haine facilite les affaires, et nous offre, dans le court trajet de la vie, la seule jouissance qui, n'étant pas suivie de fatigue, nous délasse encore de toutes les autres ! Sans doute, tant que les préparations ont été exclusivement confiées à des serviteurs salariés, tant que le secret en est resté dans les souterrains, tant que les cuisiniers seuls se sont réservé cette matière et qu'on n'a écrit que des dispensaires, les résultats de ces travaux n'ont été que les produits d'un art. Mais enfin, trop tard peut-être, les savants se sont approchés. Ils ont examiné, analysé et classé les substances alimentaires, et les ont réduites à leurs plus simples éléments. Ils ont sondé les mystères de l'assimilation, et, suivant la matière inerte dans ses métamorphoses, ils ont vu comment elle pouvait prendre vie. Ils ont suivi la diète dans ses effets passagers ou permanents, sur quelques jours, sur quelques mois, ou sur toute la vie. Ils ont apprécié son influence jusque sur la faculté de penser, soit que l'âme se trouve impressionnée par les sens, soit qu'elle sente sans le secours de ses organes ; et de tous ces travaux ils ont déduit une haute théorie, qui embrasse tout l'homme et toute la partie de la création qui peut s'animaliser. Tandis que toutes ces choses se passaient dans les cabinets des savants, on disait tout haut dans les salons que la science qui nourrit les hommes vaut bien au moins celle qui enseigne à les faire tuer ; les poètes chantaient les plaisirs de la table, et les livres qui avaient la bonne chère pour objet présentaient des vues plus profondes et des maximes d'un intérêt plus général. Telles sont les circonstances qui ont précédé l'avènement de la gastronomie.

Définition de la gastronomie. 18 - La gastronomie est la connaissance raisonnée de tout ce qui a rapport à l'homme, en tant qu'il se nourrit. Son but est de veiller à la conservation des hommes, au moyen de la meilleure nourriture possible. Elle y parvient en dirigeant, par des principes certains, tous ceux qui recherchent, fournissent ou préparent les choses qui peuvent se convertir en aliments. Ainsi, c'est elle, à vrai dire, qui fait mouvoir les cultivateurs, les vignerons, les pêcheurs, les chasseurs et la nombreuse famille des cuisiniers, quel que soit le titre ou la qualification sous laquelle ils déguisent leur emploi à la préparation des aliments.

La gastronomie tient :

à l' histoire naturelle , par la classification qu' elle fait des substances alimentaires ;
à la physique , par l'examen de leurs compositions et de leurs qualités ;
à la chimie , par les diverses analyses et décompositions qu'elle leur fait subir ;
à la cuisine, par l'art d'apprêter les mets et de les rendre agréables au goût ;
au commerce, par la recherche des moyens d'acheter au meilleur marché possible ce qu'elle consomme, et de débiter le plus avantageusement ce qu'elle présente à vendre ; enfin,
à l'économie politique , par les ressources qu'elle présente à l'impôt, et par les moyens d'échange qu'elle établit entre les nations.

La gastronomie régit la vie tout entière ; car les pleurs du nouveau-né appellent le sein de sa nourrice ; et le mourant reçoit encore avec quelque plaisir la potion suprême qu'hélas ! Il ne doit plus digérer. Elle s'occupe aussi de tous les états de la société ; car si c'est elle qui dirige les banquets des rois assemblés, c'est encore elle qui a calculé le nombre de minutes d'ébullition qui est nécessaire pour qu'un oeuf soit cuit à point. Le sujet matériel de la gastronomie est tout ce qui peut être mangé ; son but direct, la conservation des individus, et ses moyens d'exécution, la culture qui produit, le commerce qui échange, l'industrie qui prépare, et l'expérience qui invente les moyens de tout disposer pour le meilleur usage.

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Objets divers dont s'occupe la gastronomie. 19 - La gastronomie considère le goût dans ses jouissances comme dans ses douleurs ; elle a découvert les excitations graduelles dont il est susceptible ; elle en a régularisé l'action, et a posé les limites que l'homme qui se respecte ne doit jamais outrepasser. Elle considère aussi l'action des aliments sur le moral de l'homme, sur son imagination, son esprit, son jugement, son courage et ses perceptions, soit qu'il veille, soit qu'il dorme, soit qu'il agisse, soit qu'il repose. C'est la gastronomie qui fixe le point d'esculence de chaque substance alimentaire ; car toutes ne sont pas présentables dans les mêmes circonstances. Les unes doivent être prises avant que d'être parvenues à leur entier développement, comme les câpres, les asperges, les cochons de lait, les pigeons à la cuiller, et autres animaux qu'on mange dans leur premier âge ; d'autres, au moment où elles ont atteint toute la perfection qui leur est destinée, comme les melons, la plupart des fruits, le mouton, le boeuf, et tous les animaux adultes ; d'autres, quand elles commencent à se décomposer, telles que les nèfles, la bécasse, et surtout le faisan ; d'autres, enfin, après que les opérations de l'art leur ont ôté leurs qualités malfaisantes, telles que la pomme de terre, le manioc, et d'autres. C' est encore la gastronomie qui classe ces substances d'après leurs qualités diverses, qui indique celles qui peuvent s'associer, et qui, mesurant leurs divers degrés d'alibilité, distingue celles qui doivent faire la base de nos repas d'avec celles qui n' en sont que les accessoires et d'avec celles encore qui, n'étant déjà plus nécessaires, sont cependant une distraction agréable, et deviennent l'accompagnement obligé de la confabulation conviviale. Elle ne s'occupe pas avec moins d'intérêt des boissons qui nous sont destinées, suivant le temps, les lieux et les climats. Elle enseigne à les préparer, à les conserver, et surtout à les présenter dans un ordre tellement calculé que la jouissance qui en résulte aille toujours en augmentant, jusqu'au moment où le plaisir finit et où l'abus commence. C'est la gastronomie qui inspecte les hommes et les choses, pour transporter d' un pays à l' autre tout ce qui mérite d'être connu, et qui fait qu'un festin savamment ordonné est comme un abrégé du monde, où chaque partie figure par ses représentants.

Utilité des connaissances gastronomiques. 20 - Les connaissances gastronomiques sont nécessaires à tous les hommes, puisqu'elles tendent à augmenter la somme du plaisir qui leur est destinée : cette utilité augmente en proportion de ce qu'elle est appliquée à des classes plus aisées de la société ; enfin elles sont indispensables à ceux qui, jouissant d'un grand revenu, reçoivent beaucoup de monde, soit qu'en cela ils fassent acte d' une représentation nécessaire, soit qu'ils suivent leur inclination, soit enfin qu'ils obéissent à la mode. Ils y trouvent cet avantage spécial, qu' il y a de leur part quelque chose de personnel dans la manière dont leur table est tenue ; qu'ils peuvent surveiller jusqu'à un certain point les dépositaires forcés de leur confiance, et même les diriger en beaucoup d' occasions. Le prince De Soubise avait un jour l' intention de donner une fête ; elle devait se terminer par un souper, et il en avait demandé le menu. Le maître d'hôtel se présente à son lever avec une belle pancarte à vignettes, et le premier article sur lequel le prince jeta les yeux fut celui-ci : cinquante jambons. "Eh quoi, Bertrand , dit-il, je crois que tu extravagues ; cinquante jambons ! veux-tu donc régaler tout mon régiment ? non, mon prince ; il n'en paraîtra qu'un sur la table ; mais le surplus ne m'est pas moins nécessaire pour mon espagnole, mes blonds, mes garnitures, mes... Bertrand , vous me volez, et cet article ne passera pas. Ah ! Monseigneur, dit l'artiste, pouvant à peine retenir sa colère, vous ne connaissez pas nos ressources ! Ordonnez, et ces cinquante jambons qui vous offusquent, je vais les faire entrer dans un flacon de cristal pas plus gros que le pouce. "que répondre à une assertion aussi positive ? Le prince sourit, baissa la tête, et l' article passa.

Influence de la gastronomie dans les affaires. 21 - On sait que chez les hommes encore voisins de l'état de nature, aucune affaire de quelqu'importance ne se traite qu'à table ; c' est au milieu des festins que les sauvages décident la guerre ou font la paix ; et sans aller si loin, nous voyons que les villageois font toutes leurs affaires au cabaret. Cette observation n'a pas échappé à ceux qui ont souvent à traiter les plus grands intérêts ; ils ont vu que l'homme repu n' était pas le même que l'homme à jeun ; que la table établissait une espèce de lien entre celui qui traite et celui qui est traité ; qu'elle rendait les convives plus aptes à recevoir certaines impressions, à se soumettre à de certaines influences ; de là est née la gastronomie politique. Les repas sont devenus un moyen de gouvernement, et le sort des peuples s'est décidé dans un banquet. Ceci n'est ni un paradoxe ni même une nouveauté, mais une simple observation de faits. Qu'on ouvre tous les historiens, depuis Hérodote jusqu'à nos jours, et on verra que, sans même en excepter les conspirations, il ne s' est jamais passé un grand événement qui n'ait été conçu, préparé et ordonné dans les festins.

Académie des gastronomes. 22 - Tel est, au premier aperçu, le domaine de la gastronomie, domaine fertile en résultats de toute espèce, et qui ne peut que s'agrandir par les découvertes et les travaux des savants qui vont le cultiver ; car il est impossible que, avant le laps de peu d'années, la gastronomie n'ait pas ses académiciens, ses cours, ses professeurs, et ses propositions de prix. D'abord, un gastronome riche et zélé établira chez lui des assemblées périodiques, où les plus savants théoriciens se réuniront aux artistes, pour discuter et approfondir les diverses parties de la science alimentaire. Bientôt (et telle est l'histoire de toutes les académies) le gouvernement interviendra, régularisera, protégera, instituera, et saisira l'occasion de donner au peuple une compensation pour tous les orphelins que le canon a faits, pour toutes les Arianes que la générale a fait pleurer. Heureux le dépositaire du pouvoir qui attachera son nom à cette institution si nécessaire ! Ce nom sera répété d'âge en âge avec ceux de Noé, de Bacchus, de Triptolème, et des autres bienfaiteurs de l'humanité ; il sera, parmi les ministres, ce que Henri IV est parmi les rois, et son éloge sera dans toutes les bouches, sans qu'aucun règlement en fasse une nécessité.

LES APHORISMES CULINAIRES (éditions Champs Flammarion p 19 et 20)

L'univers n' est rien que par la vie, et tout ce qui vit se nourrit.
Les animaux se repaissent ; l' homme mange ; homme d' esprit seul sait manger.
La destinée des nations dépend de la manière dont elles se nourrissent.
Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu es.
Le créateur, en obligeant l' homme à manger pour vivre, l' y invite par l' appétit, et l' en récompense par le plaisir.
La gourmandise est un acte de notre jugement, par lequel nous accordons la préférence aux choses qui sont agréables au goût sur celles qui n' ont pas cette qualité.
Le plaisir de la table est de tous les âges, de toutes les conditions, de tous les pays et de tous les jours ; il peut s' associer à tous les autres plaisirs, et reste le dernier pour nous consoler de leur perte.
La table est le seul endroit où l' on ne s' ennuie jamais pendant la première heure.
La découverte d' un mets nouveau fait plus pour le bonheur du genre humain que la découverte d' une étoile.
Ceux qui s'indigèrent ou qui s' enivrent ne savent ni boire ni manger.
L'ordre des comestibles est des plus substantiels aux plus légers.
L' ordre des boissons est des plus tempérées aux plus fumeuses et aux plus parfumées.
Prétendre qu' il ne faut pas changer de vins est une hérésie ; la langue se sature ; et après le troisième verre, le meilleur vin n'éveille plus qu' une sensation obtuse.
Un dessert sans fromage est une belle à qui il manque un oeil.
On devient cuisinier, mais on naît rôtisseur.
La qualité la plus indispensable du cuisinier est l' exactitude : elle doit être aussi celle du convié.
Attendre trop longtemps un convive retardataire est un manque d' égards pour tous ceux qui sont présents.
Celui qui reçoit ses amis et ne donne aucun soin personnel au repas qui leur est préparé, n' est pas digne d' avoir des amis.
La maîtresse de la maison doit toujours s' assurer que le café est excellent ; et le maître, que les liqueurs sont de premier choix.
Convier quelqu'un, c' est se charger de son bonheur pendant tout le temps qu'il est sous notre toit.
La découverte d'un mets nouveau fait plus pour le genre humain que la découverte d'une étoile
Sans la participation de l'odorat, il n'y a point de dégustation complète.
Un restaurateur est celui dont le commerce consiste à offrir au public un festin toujours prêt.
De toutes les qualités du cuisinier, la plus indispensable est l'exactitude.
La gourmandise est l'apanage exclusif de l'homme.

Définitions. Qu' entend-on par aliments ?

(éditions Champs Flammarion p 73)

Réponse populaire : l'aliment est tout ce qui nous nourrit.

Réponse scientifique :

On entend par aliments les substances qui, soumises à l'estomac, peuvent s'animaliser par la digestion, et réparer les pertes que fait le corps humain par l'usage de la vie. Ainsi, la qualité distinctive de l'aliment consiste dans la propriété de subir l'assimilation animale. Travaux analytiques. Le règne animal et le règne végétal sont ceux qui, jusqu'à présent, ont fourni des aliments au genre humain. On n'a encore tiré des minéraux que des remèdes ou des poisons. Depuis que la chimie analytique est devenue une science certaine, on a pénétré très-avant dans la double nature des éléments dont notre corps est composé, et des substances que la nature semble avoir destinées à en réparer les pertes. Ces études avaient entre elles une grande analogie, puisque l'homme est composé en grande partie des mêmes substances que les animaux dont il se nourrit, et qu'il a bien fallu chercher aussi dans les végétaux les affinités par suite desquelles ils deviennent eux-mêmes animalisables. On a fait dans ces deux voies les travaux les plus louables et en même temps les plus minutieux, et on a suivi, soit le corps humain, soit les aliments par lesquels il se répare, d'abord dans leurs particules secondaires, et ensuite dans leurs éléments, au-delà desquels il ne nous a point encore été permis de pénétrer. Ici j'avais l'intention de placer un petit traité de chimie alimentaire, et d'apprendre à mes lecteurs en combien de millièmes de carbone, d'hydrogène, etc., on pourrait réduire eux et les mets qui les nourrissent ; mais j'ai été arrêté par la réflexion que je ne pouvais guère remplir cette tâche qu'en copiant les excellents traités de chimie qui sont entre les mains de tout le monde. J'ai craint encore de tomber dans des détails stériles, et me suis réduit à une nomenclature raisonnée, sauf à faire passer par-ci par-là quelques résultats chimiques, en termes moins hérissés et plus intelligibles. Osmazôme. Le plus grand service rendu par la chimie à la science alimentaire est la découverte ou plutôt la précision de l'osmazôme. L'osmazôme est cette partie éminemment sapide des viandes, qui est soluble à l'eau froide, et qui se distingue de la partie extractive en ce que cette dernière n'est soluble que dans l'eau bouillante. C'est l'osmazôme qui fait le mérite des bons potages ; c'est lui qui, en se caramélisant, forme le roux des viandes ; c'est par lui que se forme le rissolé des rôtis, enfin c'est de lui que sort le fumet de la venaison et du gibier. L'osmazôme se retire surtout des animaux adultes à chairs rouges, noires, et qu'on est convenu d'appeler chairs faites ; on n'en trouve point ou presque point dans l'agneau, le cochon de lait, le poulet, et même dans le blanc des plus grosses volailles : c'est par cette raison que les vrais connaisseurs ont toujours préféré l'entre-cuisse ; chez eux l'instinct du goût avait prévenu la science. C'est aussi la prescience de l'osmazôme qui a fait chasser tant de cuisiniers, convaincus de distraire le premier bouillon : c'est elle qui fit la réputation des soupes de primes, qui a fait adopter les croûtes au pot comme confortatives dans le bain, et qui fit inventer au chanoine Chevrier des marmites fermantes à clef ; c'est le même à qui l'on ne servait jamais des épinards le vendredi qu'autant qu' ils avaient été cuits dès le dimanche, et remis chaque jour sur le feu avec une nouvelle addition de beurre frais. Enfin c'est pour ménager cette substance, quoique encore inconnue, que s'est introduite la maxime que, pour faire de bon bouillon, la marmite ne devait que sourire, expression fort distinguée pour le pays d'où elle est venue. L'osmazôme, découvert après avoir fait si longtemps les délices de nos pères, peut se comparer à l'alcool, qui a grisé bien des générations avant qu'on ait su qu'on pouvait le mettre à nu par la distillation. A l'osmazôme succède, par le traitement à l'eau bouillante, ce qu'on entend plus spécialement par matière extractive : ce dernier produit, réuni à l'osmazôme, compose le jus de viande. Principe des aliments. La fibre est ce qui compose le tissu de la chair et ce qui se présente à l'oeil après la cuisson. La fibre résiste à l'eau bouillante, et conserve sa forme, quoique dépouillée d'une partie de ses enveloppes. Pour bien dépecer les viandes, il faut avoir soin que la fibre fasse un angle droit, ou à peu près, avec la lame du couteau : la viande ainsi coupée a un aspect plus agréable, se goûte mieux, et se mâche plus facilement. Les os sont principalement composés de gélatine et de phosphate de chaux.

La quantité de gélatine diminue à mesure qu' on avance en âge. à soixante-dix ans, les os ne sont plus qu'un marbre imparfait ; c'est ce qui les rend si cassants, et fait une loi de prudence aux vieillards d'éviter toute occasion de chute. l'albumine se trouve également dans la chair et dans le sang ; elle se coagule à une chaleur au-dessous de 40 degrés : c'est elle qui forme l'écume du pot au feu. La gélatine se rencontre également dans les os, les parties molles et cartilagineuses ; sa qualité distinctive est de se coaguler à la température ordinaire de l'atmosphère ; deux parties et demie sur cent d'eau chaude suffisent pour cela. La gélatine est la base de toutes les gelées grasses et maigres, blancs-mangers, et autres préparations analogues. La graisse est une huile concrète qui se forme dans les interstices du tissu cellulaire, et s'agglomère quelquefois en masse dans les animaux que l'art ou la nature y prédispose, comme les cochons, les volailles, les ortolans et les becfigues ; dans quelques-uns de ces animaux, elle perd son insipidité, et prend un léger arôme qui la rend fort agréable. Le sang se compose d'un sérum albumineux, de fibrine, d'un peu de gélatine et d'un peu d'osmazôme ; il se coagule à l'eau chaude, et devient un aliment très-nourrissant. Tous les principes que nous venons de passer en revue sont communs à l'homme et aux animaux dont il a coutume de se nourrir. Il n' est donc point étonnant que la diète animale soit éminemment restaurante et fortifiante ; car les particules dont elle se compose, ayant avec les nôtres une grande similitude et ayant déjà été animalisées, peuvent facilement s'animaliser de nouveau lorsqu'elles sont soumises à l'action vitale de nos organes digesteurs. Règne végétal. Cependant le règne végétal ne présente à la nutrition ni moins de variétés ni moins de ressources. La fécule nourrit parfaitement, et d'autant mieux qu'elle est moins mélangée de principes étrangers. On entend par fécule la farine ou poussière qu'on peut obtenir des graines céréales, des légumineuses et de plusieurs espèces de racines, parmi lesquelles la pomme de terre tient jusqu'à présent le premier rang. La fécule est la base du pain, des pâtisseries et des purées de toute espèce, et entre ainsi pour une très-grande partie dans la nourriture de presque tous les peuples. On a observé qu'une pareille nourriture amollit la fibre et même le courage. On en donne pour preuve les indiens, qui vivent presque exclusivement de riz et qui se sont soumis à quiconque a voulu les asservir. Presque tous les animaux domestiques mangent avec avidité la fécule, et ils sont, au contraire, singulièrement fortifiés, parce que c'est une nourriture plus substantielle que les végétaux secs ou verts qui sont leur pâture habituelle. Le sucre n'est pas moins considérable, soit comme aliment, soit comme médicament. Cette substance, autrefois reléguée aux Indes ou aux colonies, est devenue indigène au commencement de ce siècle. On l'a découverte et suivie dans le raisin, les navets, la châtaigne, et surtout la betterave ; de sorte que, rigoureusement parlant, l'Europe pourrait, sous ce rapport, se suffire et se passer de l'Amérique ou de l'Inde. C'est un service éminent que la science a rendu à la société, et un exemple qui peut avoir dans la suite des résultats plus étendus. Le sucre, soit à l'état solide, soit dans les diverses plantes où la nature l'a placé, est extrêmement nourrissant ; les animaux en sont friands, et les anglais, qui en donnent beaucoup à leurs chevaux de luxe, ont remarqué qu'ils en soutiennent bien mieux les diverses épreuves auxquelles on les soumet. Le sucre, qu'aux jours de Louis XIV on ne trouvait que chez les apothicaires, a donné naissance à diverses professions lucratives, telles que les pâtissiers du petit four, les confiseurs, les liquoristes et autres marchands de friandises. Les huiles douces proviennent ainsi du règne végétal ; elles ne sont esculentes qu'autant qu' elles sont unies à d'autres substances, et doivent surtout être regardées comme un assaisonnement. Le gluten, qu'on trouve particulièrement dans le froment, concourt puissamment à la fermentation du pain dont il fait partie ; les chimistes ont été jusqu'à lui donner une nature animale. On a fait à Paris, pour les enfants et les oiseaux, et pour les hommes dans quelques départements, des pâtisseries où le gluten domine, parce qu'une partie de la fécule a été soustraite au moyen de l'eau. Le mucilage doit sa qualité nutritive aux diverses substances auxquelles il sert de véhicule. La gomme peut devenir, au besoin, un aliment ; ce qui ne doit pas étonner, puisqu'à très-peu de chose près elle contient les mêmes éléments que le sucre. La gélatine végétale qu'on extrait de plusieurs espèces de fruits, notamment des pommes, des groseilles, des coings, et de quelques autres, peut aussi servir d'aliment : elle en fait mieux la fonction, unie au sucre, mais toujours beaucoup moins que les gelées animales qu'on tire des os, des cornes, des pieds de veau et de la colle de poisson. Cette nourriture est en général légère, adoucissante et salutaire. Aussi la cuisine et l'office s'en emparent et se la disputent.

Différence du gras au maigre. Au jus près, qui, comme nous l'avons dit, se compose d'osmazôme et d'extractif, on trouve dans les poissons la plupart des substances que nous avons signalées dans les animaux terrestres, telles que la fibrine, la gélatine, l'albumine : de sorte qu'on peut dire avec raison que c'est le jus qui sépare le régime gras du maigre. Ce dernier est encore marqué par une autre particularité : c'est que le poisson contient en outre une quantité notable de phosphore et d'hydrogène, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus combustible dans la nature. d'où il suit que l'ichthyophagie est une diète échauffante : ce qui pourrait légitimer certaines louanges données jadis à quelques ordres religieux, dont le régime était directement contraire à celui de leurs voeux déjà réputé le plus fragile. Observation particulière. Je n'en dirai pas davantage sur cette question de physiologie ; mais je ne dois pas omettre un fait dont on peut facilement vérifier l'existence : il y a quelques années que j'allai voir une maison de campagne, dans un petit hameau des environs de Paris, situé sur le bord de la Seine, en avant de l'île de Saint-Denis, et consistant principalement en huit cabanes de pêcheurs. Je fus frappé de la quantité d'enfants que je vis fourmiller sur la route. J'en marquai mon étonnement au batelier avec lequel je traversai la rivière. "monsieur, me dit-il, nous ne sommes ici que huit familles, et nous avons cinquante-trois enfants, parmi lesquels il se trouve" quarante-neuf filles et seulement quatre garçons, et de ces quatre garçons, en voilà un qui m'appartient." En disant ces mots, il se redressait d'un air de triomphe, et me montrait un petit marmot de cinq à six ans, couché sur le devant du bateau, où il s'amusait à gruger des écrevisses crues. Ce petit hameau s'appelle... de cette observation qui remonte à plus de dix ans, et de quelques autres que je ne puis pas aussi facilement indiquer, j'ai été amené à penser que le mouvement génésique causé par la diète ichthyaque pourrait bien être plus irritant que pléthorique et substantiel ; et j'y persiste d'autant plus volontiers que, tout récemment, le docteur Bailly a prouvé, par une suite de faits observés pendant près d'un siècle, que toutes les fois que, dans les naissances annuelles, le nombre des filles est notablement plus grand que celui des garçons, la surabondance des femelles est toujours due à des circonstances débilitantes ; ce qui pourrait bien nous indiquer aussi l'origine des plaisanteries qu'on a faites de tout temps au mari dont la femme accouche d'une fille. Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur les aliments considérés dans leur ensemble, et sur les diverses modifications qu'ils peuvent subir par le mélange qu'on peut en faire ; mais j'espère que ce qui précède suffira, et au-delà, pour le plus grand nombre de mes lecteurs. Je renvoie les autres au traité ex-professo, et je finis par deux considérations qui ne sont pas sans quelque intérêt.

La première est que l'animalisation se fait à peu près de la même manière que la végétation, c'est-à-dire que le courant réparateur formé par la digestion est aspiré de diverses manières par les cribles ou suçoirs dont nos organes sont pourvus, et devient chair, ongle, os ou cheveu, comme la même terre arrosée de la même eau produit un radis, une laitue ou un pissenlit, selon les graines que le jardinier lui a confiées. La seconde est qu'on n'obtient point, dans l'organisation vitale, les mêmes produits que dans la chimie absolue ; car les organes destinés à produire la vie et le mouvement agissent puissamment sur les principes qui leur sont soumis. Mais la nature, qui se plaît à s'envelopper de voiles et à nous arrêter au second ou au troisième pas, a caché le laboratoire où elle fait ses transformations ; et il est véritablement difficile d'expliquer comment, étant convenu que le corps humain contient de la chaux, du soufre, du phosphore, du fer et dix autres substances encore, tout cela peut cependant se soutenir et se renouveler pendant plusieurs années avec du pain et de l'eau.

La Physiologie du goût/

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Un article ajouté le 29/02/16  - Mis à jour le 11/03/22 .

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