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meringue est l'héroïne du premier volet de cette nouvelle chronique mensuelle qui consiste à décortiquer une denrée, un objet, un phénomène sous son aspect chimique. Bon appétit! La meringue... ah la meringue! Accompagnée de crème double de la Gruyère, un vrai délice! Si tout le monde s'accorde pour dire que la crème double de la Gruyère est une spécialité gruérienne, les avis divergent quant à la provenance de la meringue.
Quel ne fut pas en effet mon désappointement d'apprendre que la meringue n'était pas née des mains du «Maître» Angélo Rime de Botterens ! En fait, son origine est des plus obscures. Une petite recherche de littérature nous fait remonter au polonais «Marzynka»... Pour une origine plus romancée, on dit que Napoléon a nommé ainsi ce dessert pour en avoir mangé, et apprécié, la première fois dans un petit village de l'Oberland bernois au nom de Meiringen.
On distingue en fait trois sortes de meringues:
- La meringue «suisse»: blancs d'oeufs et
sucre glace fouettés à chaud puis cuits au four.
- La meringue «française»: blancs d'oeufs battus puis additionnés de sucre et ensuite cuits au four.
- La meringue «italienne»: blancs d'oeufs battus sur lesquels est versé le sucre fondu.
Cuisson déterminante Le mode de cuisson est l'étape clé permettant de différencier la meringue de Meiringen de celle de Botterens. Jusque dans les années 60, les meringues étaient cuites toute une nuit dans le four à une température de 100°C. Elles étaient entièrement blanches, c'étaient les meringues de Meiringen. Un pâtissier de Botterens, M. Angélo Rime, eut alors l'idée de cuire ses meringues dans un four plus chaud, à environ 160°C. Le sucre (entre 60 et 70% de la masse totale) commence alors à
caraméliser. De ce fait la meringue prend une légère coloration jaune, gagne en saveur et devient meilleure à manger. Dans un four à air chaud domestique, il faut cuire le mélange oeufs-sucre à 170°C durant vingt minutes puis deux heures à 140°C. Ainsi était née la meringue de Botterens voilà un peu plus de trente ans.
Outre son intérêt historique, la meringue témoigne également de propriétés physico-chimiques très intéressantes.
Qu'est-ce qui se passe?
Deux ingrédients entrent dans la composition de ce délicieux dessert, le blanc d'oeuf et le sucre. Techniquement, une mousse est une dispersion de gaz dans un liquide. Plus simplement, c'est une masse relativement stable de bulles. Lorsque le blanc d'oeuf est battu, des bulles d'air sont enfermées dans le liquide et une mousse est formée. Durant le battage, les bulles d'air diminuent de taille et augmentent en nombre. Le blanc d'oeuf initialement translucide prend une apparence opaque. Lorsqu'une quantité plus grande d'air est incorporée, la mousse devient ferme et perd ses propriétés liquides. Si l'on bat au fouet de l'eau, il se forme également de petites bulles, mais ces dernières ne parviennent pas à survivre. Dans le cas de la meringue, les protéines contenues en grand nombre dans le blanc d'oeuf permettent cette montée du blanc en neige. Par l'action mécanique du fouet, ces protéines se déploient et forment un film à la surface de la bulle, autrement dit à l'interface air-liquide. Ce film est essentiel à la stabilité de la mousse en empêchant ainsi les bulles de fusionner. Attention à la graisse Des produits synthétiques comme le Sodium Luaryl Sulfate (0.1% de la masse des blancs d'oeufs, à ajouter aux blancs encore transparents) ou le Triethyl Citrate facilitent ce procédé de dénaturation, ce déploiement des protéines. A notre avis, la mousse est alors de meilleure qualité et prend plus rapidement. Aucune différence de goût dans la meringue.
Attention en revanche à ne pas trop battre les blancs d'oeufs. Dans un tel cas, les protéines se lient entre elles et ne sont plus en assez grand nombre à l'interface air-liquide. La neige redevient liquide, avec cette fois-ci une grande quantité de protéines coagulées, collées ensemble, et donc inaptes à recréer une nouvelle mousse.
Attention également au jaune de l'oeuf; une seule goutte dans le blanc peut
réduire le volume maximal de mousse de deux tiers. La raison en est la graisse qu'il contient. Celle-ci favorise la coagulation des protéines; nous observons alors le même phénomène qu'en cas de
battage prolongé. L'effet des autres graisses et huiles est moins important, mais assez tout de même pour éviter les récipients en plastique.
En effet les plastiques sont des polymères d'hydrocarbures, substance se retrouvant en grande proportion dans les graisses, et ainsi les plastiques ont tendance à garder des traces de graisse en surface. Il a été démontré que l'utilisation de bols en cuivre est avantageux lorsque l'on veut faire
monter les blancs en neige. La mousse résultante est plus crémeuse et plus stable. Les scientifiques ne sont en revanche pas unanimes dans l'explication de ce phénomène.
En principe, les meringues peuvent être préparées à partir de deux des protéines du blanc d'oeuf, l'ovomucine et la globuline. La meringue de Botterens synthétique est donc théoriquement possible, mais n'a selon toute vraisemblance, pas encore été synthétisée. Bon appétit !
Source :
Matthieu Buchs Source: «
On food and Cooking», H. Mc Gee, Cambridge University Press, 1988.